Le lierre, une aubaine l’hiver (version longue)

Le lierre, une plante extraordinaire, sans être spectaculaire.

Au premier regard, le lierre est une plante plutôt ordinaire. Ses fleurs à peine visibles sont petites et vertes pâles. Ses fruits « on ne peut plus » classiques sont des sortes de myrtilles rondes et sombres. Son tronc, n’en est pas vraiment un : frêle, multiple, biscornu…Il préfère s’accrocher à un arbre digne de ce nom. Et pour corser le tout, un manque de goût manifeste. Le lierre n’est même pas capable de se parer de mille couleurs à l’automne comme les autres.   

Ajoutez à cela une pincée de rumeurs : étouffeur d’arbres, destructeur de murs… et vous pourrez croiser sa route sans même faire attention à lui, voire même le regarder d’un air méfiant.

En réalité,  le lierre est une plante extraordinaire pour la biodiversité :

  • Sa floraison a lieu à l’automne, période où bon nombre de restos à insectes ont mis la clé sous la porte pour la trêve hivernale.
  •  Ses fruits murissent à la fin de l’hiver, quand tous les autres marchés à oiseaux n’ont plus grand chose à proposer sur leurs étals.
  • Son feuillage persistant et dense est bien utile pour toute la faune. Elle y trouve l’asile climatique, à l’abri du vent, de la pluie et du froid.
  • Enfin, quoi qu’en disent les ragots, le lierre est bénéfique à l’arbre qui le porte, et joue un rôle protecteur avec le mur qui s’en est revêtit.

Le lierre : un abri pour tous

Un feuillage persistant et protecteur

Les arbres qui se sont vêtus de couleurs flamboyantes à l’automne, faisant pâlir les peintres les plus reconnus, ne sont que de peu d’aide à présent. Leur port squelettique n’apporte que peu d’abri à la faune. Une écorce un peu tortueuse peut laisser place à quelques insectes. Un trou forgé par le pic, peut servir d’abri à l’oiseau ou aux petits mammifères  lors de grands froids. L’offre s’arrête souvent là.

Un abri contre les intempéries et les températures glaciales.

Le lierre, lui,  sait rester discret et « faire sa part ». Humblement, il va proposer à toute la faune de venir s’abriter sous son feuillage… L’agencement des feuilles les unes par rapport aux autres rappelle des tuiles et ont la même fonction. L’eau ruisselant de feuilles en feuilles ne passe que très peu à travers le feuillage permettant aux hôtes du lierre de se protéger de la pluie.

Feuillage du lierre : l’effet tuiles, un abri contre la pluie.

Plus fort, on a relevé des différences de températures de 4°c de part et d’autres du feuillage du lierre. Il protège donc également du froid.
« 4°c, c’est que dalle! » me direz-vous. Et bien tentez l’expérience cet hiver. Faites passer votre logement de 20°c à 16°C  ou de 18°C à 14°C… et on en reparle.

Adaptation des feuilles aux conditions hivernales

Abriter gratuitement tout une ribambelle de bestioles c’est bien, mais cela ne doit pas porter préjudice au lierre lui-même. Alors comment les feuilles du lierre font-elles pour résister aux températures de l’hiver ? Elles ne sont pas aussi coriaces que les aiguilles des conifères, ni même que les feuilles de houx.

Les feuilles du lierre résistent au gel
Un antigel écolo

Eh bien à l’automne, le lierre ne se charge pas de pigments colorés pour faire le beau comme bon nombre de ses confrères. Il préfère se charger de protéines et de sucres ayant un rôle antigel. Ainsi, en début d’hiver, elles peuvent supporter des températures de -12°C ce qui n’est déjà pas si mal. L’accumulation des substances antigels permet au lierre de supporter jusqu’à -24°C au cœur de la saison froide. Au-delà, le système est à ses limites. Cela explique que le lierre ne peut pas vivre en haute montagne, ni dans les pays nordiques.

Le lierre, plante nourricière

Le lierre est un refuge pour un grand nombre d’insectes. Son feuillage, véritable manteau d’hiver, et son dédale de tiges grimpantes entrelacées, créent mille logettes. Les oiseaux, non contents d’y trouver le gîte, font d’une pierre deux coups, en trouvant également le couvert. Pour les piafs à tendance végan en hiver, tout n’est pas perdu… Le lierre produit aussi des fruits.

Mésange charbonnière à la recherche d’insectes à se mettre sous le bec.

Les fruits du lierre ressemblent à des myrtilles regroupées en « grappes » et se forment à l’automne. Il n’en a pas fallu plus pour affubler le lierre du sobriquet de « raisin de la Toussaint ». A ce stade, ils ne semblent pas mûrs, et n’attirent guère l’attention des oiseaux alentours. Il faut dire que, à sa décharge, la tâche n’est pas simple. Les conditions hivernales ne sont pas franchement idéales pour faire murir des fruits. Résultat, il faut 5 mois aux petits fruits du lierre pour être « à croquer » contre 40 jours pour les cerises.

Joli stock de nourriture pour fin février

Des fruits mûrs en plein cœur de l’hiver

C’est donc en février/mars que le repas est prêt. Et cela tombe bien : la nature n’a plus beaucoup de fruits à offrir aux oiseaux. Les autres fruits souvent mûrs à l’automne tiennent bon jusqu’à Noël, guère plus. Les gros fruits gorgés d’eau supportent mal les alternances de gelées et redoux et finissent par se gâter. Les autres baies se sont faites boulotées toutes crues depuis belle lurette par les oiseaux. C’est la traditionnelle orgie de fin d’année qui laisse les oiseaux « fort dépourvus lorsque la vraie bise fut venue ».

C’est donc à ce moment-là que les baies du lierre prennent le relais. Et il y a du monde au « restolierre »: merle, grives, mésanges, rougegorge…
La fauvette à tête noire déjà de retour de migration est heureuse de pouvoir se rassasier après ce long voyage éreintant.

Les baies de lierre contiennent 32% de lipides. Cela permet aux piafs de reprendre « du poil de la bête » (de la plume en l’occurrence) pour ceux qui avaient tendance à voir leur poids fondre comme neige au soleil à cause du froid hivernale.

Le lierre, un manipulateur?

Quel grand cœur ce lierre me direz-vous, quelle générosité, quel altruisme… Ne vous emballez pas, le lierre est en fait un manipulateur. Il s’agit en réalité d’un troc à l’insu des oiseaux. Les baies de lierre contiennent évidemment des graines de lierre : la progéniture. Le lierre a donc pensé à tout pour leur offrir une place dans la société. En échange de la pulpe du fruit pour les requinquer, les oiseaux ont pour mission de disséminer les graines. Les oiseaux, lorsqu’ils se gobergent des baies, vont libérer les graines du fruit un peu plus loin :

  • soit par les fientes pour ceux qui les ont avalés tout rond.
  • soit par le bec pour les fines bouches qui font le tri pendant le repas.

Dans les 2 cas, le délestage se fait à l’aplomb de leur perchoir, potentiel futur tuteur de lierre. Merci les gars!

Le lierre privilégie le transport aérien pour ses graines.

Le renard et la fouine peuvent également disséminer ces baies plus loin dans leurs excréments. Pourtant, à l’instar du gui, la dissémination est quasi exclusivement effectuée par les oiseaux.  En effet, le taux de germination d’une graine ayant transitée par le tube digestif des oiseaux est de 100%. Elle germe généralement très mal enfermée dans son fruit.

La dissémination des graines, fruit du hasard…

Malheureusement, pas de miracle pour le lierre, toutes ses graines ne germeront pas. En vol ou sur son perchoir, la graine de lierre enrobée dans son petit papier cadeau noir et blanc ne tombe pas toujours dans des endroits propices à l’installation : toit, trottoir, ruisseau, hautes herbes…

Pigeon ramier, le pire cauchemar des graines de lierre.

Parfois, ce n’est pas l’atterrissage qui pose problème, mais le transport lui-même. « Avec le transporteur ramier, c’est la mort assurée! » Ce pourrait être le slogan de ce pigeon. Son gosier est une sorte de mortier-pilon, broyant tout ce qui passe. Il ne laisse aucune chance aux petites graines de lierre qui meurent dans la soute…

Les rumeurs concernant le lierre

Concurrence de feuillage avec son hôte.

C’est au cœur de l’hiver que l’on repère le mieux le lierre, parmi les squelettes des plantes caduques. Il est aisé d’apercevoir les quelques veinards qui se sont laissés emmitoufler. Et l’on tord le cou tout de suite à une première rumeur : « les feuilles du lierre font concurrence aux feuilles de la plante support ». Que nenni! Approchez vous et tentez d’observer le lierre et son hôte sur fond de ciel bleu.

Les branches du lierre s’arrêtent toujours bien avant l’extrémité des branches de son support. La partie où se concentre la majorité des feuilles de l’hôte est donc indemne de concurrence. Cela fait penser à des mitaines qui protègent la base de la main, mais laissent libre l’extrémité des doigts. J’entends déjà certains esprits chagrins me dire « c’est que le lierre n’est encore pas arrivé au bout, mais tu verras l’année prochaine… » Pas besoin d’attendre si longtemps… promenez-vous à la recherche du lierre, et si vous en trouvez un seul qui recouvre la totalité des branches de son hôte, faites-moi signe.

Prélèvement de substances sur la plante hôte.

 Et pour faire d’une pierre deux coups, tordons le cou sur le champs à la seconde rumeur, ça sera fait. Le lierre ne se nourrit pas de l’arbre qui le porte. Il n’est pas équipé de suçoir comme ce malfrat de gui pour puiser eau et sels minéraux dans son hôte. Lui, est uniquement chaussé de crampons comme tout randonneur prudent qui souhaite grimper en toute sécurité. Ses crampons se fixent à la surface de l’hôte, dans le relief de son écorce.

Et pour convaincre les plus sceptiques, les murs où pousse vigoureusement le lierre, n’ont rien à lui offrir d’autre qu’un support.

Etranglement de la plante hôte.

Eh non, le lierre n’enlace pas son hôte dans une étreinte passionnelle voire mortelle. Et pour s’en convaincre, lorsque vous retirez les branches de lierre fixées à un arbre, pas de traces de strangulation. Le chèvrefeuille, plante nettement plus petite au parfum délicat, cache, elle, bien son jeu. Son étreinte avec son hôte laisse des traces bien visibles sur celui-ci.

Epilogue

Mais alors, le lierre n’a pas de défauts? Bien sûr que si, comme tout le monde! Et pour ce qui nous concerne dans cet article, son défaut premier est d’être un peu trop discret. Ainsi, des plantes plus criardes, avec un look bling bling, couleurs vives, parfum puissant, lui volent la vedette.

Mais la biodiversité n’en a que faire de ce style ostentatoire et excessif. Chacun à sa place, son rôle à jouer. Alors n’hésitez pas à laisser s’installer cette plante dans votre jardin, contre votre maison. Seule précaution, taillez-le avant qu’il n’arrive au niveau de la gouttière et des tuiles du toit, et tout se passera pour le mieux.