Le rouge gorge en hiver, un solitaire qui ne manque pas de ressources (version longue)

Vous aussi vous observez « votre » rouge gorge à la mangeoire ?  Les mésanges, chardonnerets et autres verdiers, fréquentent la mangeoire en bande organisée. Comme un grand nombre d’espèces, elles se liguent contre un ennemi commun : l’hiver, et font sienne l’adage « l’union fait la force ».

Le rouge gorge, lui, est et restera solitaire quelles que soient les conditions hivernales. Il préfère d’ailleurs venir faire un tour à la mangeoire en dehors des heures de pointe, souvent à l’aube ou au crépuscule: lorsqu’il ne fait pas encore jour et que les autres espèces attendent « d’y voir un peu plus claire » aux alentours avant de sortir. En effet, notre rouge gorge à un atout pour sortir avant les autres et rentrer après : une vision particulièrement adaptée à ces conditions. C’est un oiseau des sous-bois qui voit particulièrement bien dans la pénombre.

Le rouge gorge, un oiseau des sous bois.

Le froid en hiver, une question de poids

Vous aurez peut-être remarqué que les rouges gorge semblent plus rond en hiver qu’en été… la mangeoire aurait-elle eu un effet pervers sur son équilibre alimentaire allant jusqu’à lui donner de l’embonpoint ? que nenni ; c’est une stratégie pour éviter les pertes caloriques. Le rouge gorge « gonfle » son plumage d’air pour créer une couche isolante supplémentaire. Comme l’édredon en duvet d’oie que grand-mère pose au pied de son lit.

L’édredon vivant…

Malgré cela, le rouge gorge peut perdre jusqu’à 10% de son poids en une seule nuit… Cela peut nous faire rêver, pas lui. Il doit absolument éviter cette situation en combinant recherche de nourriture pour reprendre du poids et recherche d’abris pour la nuit pour éviter d’en perdre…

Le couvert pour l’hiver

                A proximité de l’homme

Le rouge gorge préfèrera les mangeoires plateaux, où il se contentera des restes que les grandes tablées de malpropres décrit plus haut auront laissés après avoir bien festoyé. Débris de tournesol, noix, noisettes sont au menu de notre piaf à plastron rouge. Certains individus, particulièrement timides, se contenteront même des restes projetés au sol. C’est la raison pour laquelle le pied de la mangeoire ne doit pas être un coupe (rouge) gorge fréquenté par ces malfrats de chats. Faites donc table rase au pied de votre mangeoire pour que les piafs voient arriver de loin les matous du quartier, à la recherche de sensations fortes, pour rompre le train-train quotidien : croquettes, banquette, couette.

                Dans la nature

Dans la nature, le rouge gorge trouve souvent de la compagnie auprès des faisans et des sangliers. Non pas qu’ils soient réputés pour avoir de la conversation, mais parce qu’ils ont pour habitude de remuer « neige et terre » à la recherche de nourriture? Cela n’est pas pour déplaire à notre petit chapardeur qui se sert au passage.

Le gîte pour l’hiver

                A proximité de l’homme

Dans nos villages, le rouge gorge à l’embarras du choix : église, étable, grange, remise, abri de jardin… N’hésitez pas d’ailleurs à laisser un petit fenêtron ouvert dans l’abri de jardin à cet effet, à retirer un « cache moineau » qui servira d’abri pour l’hiver au rouge gorge et de nichoir l’été au rougequeue noir. Si vous craignez que d’autres individus ne passent par la fenêtre : chat du voisin, voire voisin lui-même, dérangeant respectivement les oiseaux et vos râteaux… Vous pouvez vous contenter de faire 2 trous de 35 mm de diamètre dans ces abris souvent en bois avec une scie cloche.

Dans la nature

Dans la nature, les buissons aux feuilles persistantes font office d’abris comme le houx par exemple. Le lierre est également un abri de choix. Cette plante est une ambassadrice de la biodiversité. A chouchouter si vous avez la chance d’en avoir une au jardin.

Rouge gorge au pied d’un lierre, son abri pour l’hiver.

Pourquoi ne voit-on le rouge gorge que l’hiver ?

Mais d’où vient donc ce rouge gorge que vous logez dans votre abri de jardin et que vous nourrissez à la mangeoire ? Et bien 2 possibilités : il vient de la forêt du coin, où les conditions sont quand même plus hostiles que chez vous malgré la compagnie des sangliers, ou carrément de l’Europe du Nord où les conditions sont franchement glaciales. Dans les 2 cas, il s’agit pour lui de ses quartiers d’hiver qu’il retrouvera fidèlement chaque année. Son territoire établi, il sera alors interdit à ses congénères au plastron rouge.

Cela explique deux observations : d’une part qu’il évite soigneusement les repas de famille et se retrouve ainsi seul à la mangeoire, d’autre part que le rouge gorge chante toute l’année pour prévenir ses semblables qu’il est là chez lui, qu’il va falloir faire avec, et que s’il faut en découdre, on peut compter sur lui.

Rouge gorge chantant en plein hiver

Migrer ou rester : chacun sa stratégie

Le rouge gorge a donc deux possibilités à l’automne, « quand la bise fut venue ». Migrer au Sud et se la couler douce ou affronter l’hiver sur place, un peu plus près des chaumières pour ne pas mourir de froid mais en compagnie des chats… Dit comme ça, on choisit assez vite l’option 1. C’est oublier que dans le monde des rouges gorges, quitter son territoire comporte un risque : « qui va à la chasse perd sa place » ! Récupérer son lopin de terre après des mois d’absence n’est pas chose aisée ; il faut être sûr de rentrer le premier, et c’est sans compter sur ceux qui auront décidé de rester… et si pas de territoire, pas de femelle à séduire, pas de progéniture à s’occuper, une année blanche dédiée à l’errance… triste sort.

Alors, pas de doute, le choix est simple pour les rouges gorges de Russie qui migrent tous. Il n’est pas plus compliqué pour les rouges gorges des Canaries, qui préfèrent rester sur place. Mais entre les 2, il s’agit d’un choix individuel :  en Suisse, 9/10 migrent contre seulement 1/10 en Angleterre. Ce n’est donc pas le brouillard qui les dérange, mais le froid et la neige.

Le croupier qui mène la danse dans ce jeu de la roulette est la rigueur de l’hiver, en particulier l’accès à la nourriture figée dans la glace ou planquée sous la neige.

Si l‘hiver est particulièrement doux, les sédentaires sont gagnants. Ils n’ont pas trop soufferts et récupèrent les meilleurs territoires avant l’arrivée des migrateurs, fatigués par le voyage, qui feront avec les territoires qui restent.

Si l’hiver est très rude, les migrateurs sont gagnants. Ils s’installent où ils veulent, la population locale ayant été décimée par le froid, parfois 9 sédentaires sur 10 ayant passés de vie à trépas.
Et entre ces 2 positions extrêmes, tout est possible !